Il s’est présenté comme quelqu’un avec un attachement désorganisé. Il l’a répété plusieurs fois comme s’il avait besoin de montrer qu’il savait qui il était. J’ai écouté mais je me suis aussi interrogé. Les mots peuvent être des fenêtres qui s’ouvrent sur le monde. Mais les mots peuvent aussi être des œillères qui nous conduisent vers des vérités plus étroites.
Les études sur l’attachement sont l’un des domaines de recherche les plus importants de la psychologie moderne. Des milliers d’articles de recherche ont été publiés. Les gens s’y sont intéressés pour se cartographier eux-mêmes afin de comprendre ce qui se passe dans leur vie. Et comme pour toute carte, cela peut être utile.
C’est Mary Ainsworth qui a formulé les trois catégories fondamentales d’attachement – sécurisé, anxieux, évitant – dans ses travaux de recherche avec Bowlby et sa célèbre expérience de la situation étrange. Les chercheurs ont ensuite ajouté la quatrième catégorie d’attachement désorganisé. Bowlby travaillait avec des enfants en difficulté après avoir été déplacés de force hors des villes d’Angleterre pendant la Seconde Guerre mondiale. Bowlby étudiait en fait ce qui se passe chez un enfant lorsqu’il y a une perte d’attachement.
Dans une relation saine entre l’enfant et ses parents, lorsque l’enfant subit une rupture, il peut exprimer une certaine forme de colère lorsque la relation est rétablie. Bowlby a démontré qu’il s’agissait d’une expression saine qui devait être acceptée et accueillie plutôt que punie par la figure parentale. Cette compréhension a eu un impact significatif sur la réduction du recours aux châtiments corporels dans les écoles et les institutions.
Dans ce contexte, le mot attachement ne fait pas paradoxalement référence à l’attachement lui-même mais à la manière dont une personne va réagir lorsqu’il y a une reconnexion après une rupture. En d’autres termes, l’attachement fait référence à un processus relationnel avec une dimension interrelationnelle et intrarelationnelle qui se produit simultanément dans la dyade enfant/parent à un moment très particulier.
Il a continué à parler de son histoire de traumatismes d’enfance et d’âge adulte, et de la façon dont ils s’étaient accumulés et avaient eu un impact sur sa vie actuelle. Il a parlé de cette histoire d’une manière très perspicace et organisée. Je n’arrêtais pas de me poser des questions. Puis il y a eu une pause. Et je lui ai demandé quel moment avait été le plus difficile pour lui dans tout cela.
La question l’a clairement pris au dépourvu. Car un sourire s’est soudain dessiné sur son visage et ses yeux et sa tête se sont tournés vers l’arrière alors qu’il réfléchissait à ce que je venais de lui demander.
« C’est vraiment curieux », a-t-il dit, « parce que ce à quoi je fais référence n’a rien à voir avec ce que je viens de vous dire. En fait, je fais référence à quelque chose qui s’est passé il y a tout juste un an. »
Il m’a raconté comment une nuit, alors qu’il dormait, un intrus s’est introduit dans l’appartement. Il a entendu un bruit et a pensé que c’était son colocataire qui rentrait tard après une fête. Il est allé dans le salon et a vu une ombre avec une petite torche qui fouillait dans les tiroirs.
Lorsqu’il réalisa que cette personne était un ennemi plutôt qu’un ami, son corps se figea et il se retrouva incapable de bouger. L’intrus réalisa que quelqu’un était entré dans la pièce et se figea également. Pendant un bref instant, ils se regardèrent tous les deux, immobiles. L’intrus bougea le premier et quelques secondes plus tard, il était déjà dehors. Désorienté, il retourna se coucher et resta éveillé le reste de la nuit, ne sachant pas quoi faire.
Je lui ai suggéré de travailler sur cet événement plus récent qu’il venait de décrire. Il a identifié une position oculaire active* où nous nous regardions droit dans les yeux – imitant clairement le moment où il s’est retrouvé face à face avec l’intrus. Dès qu’il s’est installé, ses yeux se sont agrandis et sa bouche s’est ouverte spontanément dans une expression figée. Et puis une vague d’émotion est arrivée alors que son visage se tordait. Il a détourné le regard et a pleuré profondément avant de regarder à nouveau le pointeur. Ses yeux se sont agrandis et sa bouche s’est ouverte à nouveau avant que son visage ne se torde à nouveau – son corps suivant une sorte de trajectoire de mouvement interne nécessaire pour que la libération se produise.
Alors que son corps traitait la charge émotionnelle en vagues oscillant entre crescendo et relâchement, je pouvais sentir la force du contact visuel. J’avais l’impression que tout son corps s’appuyait contre moi pour me soutenir. Il y avait aussi une étrange fraîcheur dans ce contact, comme si je pouvais sentir la profondeur de ce qui était gelé à l’intérieur. Et quelque chose me disait qu’il y avait déjà quelque chose de gelé en lui avant que l’intrus n’entre dans l’appartement.
« Je ne savais pas qu’il y avait tout ça là-dedans », a-t-il déclaré par la suite. « Je pensais avoir résolu tout ça. »
Sortir d’une rupture et se reconnecter peut prendre du temps. Aujourd’hui, j’ai senti qu’il avait commencé le voyage qu’il devait entreprendre. Une partie de la tristesse enfouie commençait à se manifester. Et il ne fait aucun doute que plus tard, il y aurait davantage de colère. Mais toutes les bonnes choses en leur temps.
*Configuration de Brainspotting
