La vie secrète des personnes performantes est souvent dominée par le Saint Graal de la certitude. Lorsque la certitude règne, le succès émerge comme le fruit naturel d’un désir donné. Tous les efforts, toute l’énergie sont concentrés sur le développement et l’établissement de la certitude – à l’intérieur comme à l’extérieur. Car la certitude est considérée comme une partie fondamentale et naturelle du monde. Il suffit d’apprendre à apprivoiser et à récolter cette certitude. Et une fois que vous avez ou détenez cette certitude, vous êtes sur la voie de la réalisation du désir de votre cœur. Être capable de promettre cette certitude aux autres vous assurera également un succès ultérieur. Les gens l’achèteront en conséquence. Que ce soit un hamburger, une voiture, un trajet en taxi, une pilule, voire une thérapie.
Cependant, la difficulté de la thérapie, de par sa nature même, est qu’elle est incertaine – malgré tout le jargon scientifique et les études qui ont été menées pour montrer à quel point une thérapie peut être sûre. En dix séances, nous pouvons traiter une phobie. En vingt, un syndrome de stress post-traumatique. Ou quelle que soit la forme que cela puisse prendre.
Les gens veulent aller d’un point A à un point B. Mais ils sont bloqués à cause d’un TOC. Si quelqu’un dit qu’il doit faire X pour arriver à un point B, brandissant une étude affirmant qu’il y a 85 % de chances que cela se produise, alors les gens achèteront. La certitude est rassurante et bonne pour les affaires.
Des industries entières sont construites sur ces principes, des économies entières, voire des cultures entières.
Le problème, du point de vue des personnes sûres d’elles-mêmes, c’est que la thérapie paraît confuse et incertaine. Il y a eu et il y a encore des tentatives incessantes pour rendre la thérapie certaine. Ce qui est compréhensible. Suivez ces étapes et vous arriverez à B. Maîtrisez ce protocole et vous serez capable de traiter X. Tout cela est rassurant pour les personnes perdues et souffrantes, et rassurant pour les thérapeutes qui ont du mal à supporter l’incertitude.
Curieusement, ce désir de certitude reflète l’une des façons dont le cerveau gère sa propre consommation d’énergie. Notre cerveau représente environ 2 % de notre poids corporel. Pourtant, il consomme 20 à 25 % des ressources énergétiques du corps en régime permanent. En état de stress, le cerveau est capable d’en consommer 60 % ou plus pour effectuer des tâches essentielles à la vie et assurer notre survie.
En d’autres termes, le cerveau peut être une source de gaspillage d’énergie pour le reste du corps. Pour minimiser sa consommation, le cerveau cartographie et prédit le monde. En d’autres termes, il crée de la certitude.
Vous êtes assis dans une pièce et votre cerveau a constitué une carte complexe de l’espace et de tous les objets qui s’y trouvent. À cause de cette carte, vous ne faites plus guère attention à la pièce dans votre vie quotidienne. Même lorsque vous essayez, il devient difficile de remarquer de nouvelles choses ou de voir la nouveauté de la pièce. La carte prédictive économise beaucoup d’énergie à votre cerveau car il n’a pas besoin de scanner et de cartographier la pièce à chaque fois que vous vous déplacez.
Le cerveau se concentre alors uniquement sur la détection des différences entre la carte interne et ce qui est perçu, libérant ainsi de l’énergie pour que l’organisme puisse faire d’autres choses. Ce n’est que lorsqu’une différence suffisamment importante est détectée entre les deux que le cerveau concentre ses ressources pour mettre à jour la carte interne afin d’appliquer une nouvelle ligne de conduite.
Comme nous le savons, la carte n’est pas le territoire. Le territoire peut être cartographié de mille façons différentes. Malheureusement, nous confondons parfois involontairement la carte avec le territoire lui-même. Le côté positif de s’en tenir à la carte est qu’elle nous fait économiser beaucoup d’énergie. Nous n’avons pas besoin de tout remettre en question tout le temps. Cependant, l’inconvénient est qu’une telle carte réduit la capacité des gens à appréhender et à accepter de nouvelles expériences, à voir des choses qui n’existent pas ou même à ne pas détecter des différences significatives qui pourraient sauver des vies.
En thérapie, le processus est inversé. Les choses ne sont plus certaines. Les gens cherchent à retrouver une certaine certitude, dans une tentative désespérée et silencieuse de colmater un barrage déjà percé. Ils viennent en croyant savoir quel est le problème, parfois avec une stratégie sur ce qu’ils doivent faire, mais ils sont incapables de l’appliquer. D’autres fois, ils sont tout simplement complètement perdus ou confus, n’ayant aucune idée de par où commencer. Dans tous les cas, la carte interne qu’ils utilisent ne fonctionne plus. Pourtant, ils sont incapables de la mettre à jour.
Défaire et refaire cette carte intérieure peut être douloureux et effrayant. Ce que vous pensiez être vrai ne l’est plus. Le monde est soudain devenu une jungle. Cette personne en qui vous avez eu confiance pendant si longtemps ne peut plus vous faire confiance. Vos jambes ne vous soutiendront plus.
Une chose est sûre en thérapie : la personne est vouée à un moment ou un autre à expérimenter des niveaux d’incertitude plus élevés. Être capable de faire face à l’incertitude est au cœur de l’effort thérapeutique. Paradoxalement, le parcours thérapeutique consiste à être capable d’aborder cette turbulence de manière sûre pour que le processus de guérison puisse commencer.
L’incertitude est un cadeau.
Mais il est difficile de vendre l’incertitude. Cela va à l’encontre du principe de certitude.
